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Un regard froid sur la Chine

Le Journal du Dimanche - Après avoir passé toute la semaine au Parlement européen pour parler de la Chine, je réunirai lundi les ministres européens des Affaires étrangères pour aborder le même sujet. Car si la Chine ne menace pas directement notre sécurité, elle constitue un défi multidimensionnel pour l’Europe compte tenu de son poids systémique dans le monde qui n’a rien à voir avec celui de la Russie. Comment la Chine fera-t-elle usage de sa puissance et comment pouvons-nous y faire face ? Telles sont les deux questions qui se posent à nous.

Depuis 2019, l’Union européenne s’est dotée d’une stratégie chinoise qui fait de Pékin à la fois un partenaire, un concurrent et un rival. Partenaire car sur de très nombreux dossiers comme la biodiversité, le changement climatique, l’endettement des pays pauvres ou les pandémies, il y a nécessité absolue de coopérer avec la Chine compte tenu du caractère global de ces sujets. Il importera notamment de l’inciter à relever son niveau d’ambition climatique, elle qui brûle plus de charbon que tout le reste du monde. Mais cela ne saurait se faire sans dialogue. Sinon, elle coalisera le Sud contre nous.

S’il suffisait de ne pas parler à la Chine pour régler nos problèmes avec elle, cela se saurait. En revanche, la reconnaissance de son rôle croissant n’implique nullement la moindre complaisance vis-à-vis d’elle. Nous avons avec Pékin des divergences profondes sur de très nombreux sujets.

Sur les valeurs, la vision des droits individuels et des libertés fondamentales de la Chine est totalement opposée à la nôtre. Nous n’hésiterons donc pas à lui mener la vie dure dans les instances internationales où elle cherche, avec le soutien d’un certain nombre de pays du Sud, à remettre en cause la Déclaration universelle des droits de l’homme qu’elle a pourtant signée et ratifiée.

Sur les déséquilibres économiques, nos désaccords sont tout aussi sérieux. Nos entreprises sont de plus en plus désavantagées sur le marché chinois non pas faute de compétitivité, mais parce qu’elles se heurtent à des mesures restrictives, à des subventions massives accordées à leur concurrent chinois, qui réduisent leurs chances. C’est la raison pour laquelle nous faisons de la réciprocité un principe concret de nos relations avec la Chine. Ainsi avons-nous décidé de mettre en œuvre des dispositifs européens pour que nos secteurs stratégiques soient protégés par des instruments de contrôle des investissements étrangers. La mondialisation heureuse est terminée. Pour autant, elle ne saurait faire place à une économie fermée ou à un découplage fort dommageable pour l’Europe. Ce point d’équilibre entre ouverture et sécurité est indispensable. Mais cela ne sera pas tâche aisée. « Nous sommes désormais confrontés à l’émergence de deux blocs ou chacun essaie d’attirer le reste du monde à ses côtés, a dit Christine Lagarde, la présidente de la BCE. Et cela peut conduire à la formation de deux blocs organisés autour des deux grandes puissances mondiales. » Nous voulons réduire nos risques sans pour autant rechercher un découplage de nos économies avec la Chine. Il nous faudra donc préciser comment y parvenir concrètement.

Sur Taïwan, notre position est simple et constante. Il n’y a à nos yeux qu’une seule Chine. Mais pas à n’importe quelles conditions. Et certainement pas au travers du recours à la force. L’Europe doit en réalité être très présente sur ce dossier qui nous concerne sur le plan économique, commercial et technologique. C’est pourquoi j’appelle les marines européennes à patrouiller dans le détroit de Taïwan pour signifier l’attachement de l’Europe à la liberté de navigation dans cette zone absolument cruciale. Simultanément, nous devons être vigilants face aux provocations et aux surenchères. L’immense majorité de la population taïwanaise estime que le statu quo pacifique est la solution la plus appropriée. Soyons donc fermes pour faire respecter ce principe.

Reste enfin l’Ukraine. Nous l’avons dit et redit aux Chinois : ce n’est pas votre intérêt de soutenir la Russie. D’autant qu’en la soutenant vous ne ferez qu’accroître la polarisation du système international que vous prétendez par ailleurs vouloir combattre. Tel est le message que je défendrai demain auprès de mes 27 collègues.