Réflexions sur la guerre d’agression russe et le renforcement de notre partenariat avec le Golfe
«Pour de nombreux pays, l'agression de l'Ukraine par la Russie n'est qu'un des nombreux conflits dans le monde requérant notre attention.» Josep Borrell
Quelques mois seulement se sont écoulés depuis ma dernière visite dans le Golfe, mais le monde n’est plus le même: le président Poutine a amené la guerre en Europe à une échelle et une intensité inconnues depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. L'invasion russe constitue un moment décisif pour l'avenir de l'ordre international basé sur des règles, qui décidera si nous vivons dans un monde reposant sur des règles ou sur la force.
Le conflit ukrainien, un «conflit parmi d'autres»
Ces questions ont été mes principaux sujets de discussion tout au long de ma visite avec des représentants du monde arabe, des pays du Sud et d’autres participants au Forum de Doha. L’intervention virtuelle en direct du président Zelensky lors de l’ouverture a donné le ton du forum, mais, lors de ma table ronde et de mes réunions avec les dirigeants qatariens et koweïtiens et d’autres dirigeants, une chose est apparue clairement: si nous partageons une opposition de principe à l’agression de la Russie et au recours à la force, la guerre en Ukraine n’est, pour de nombreux pays, que l’un des nombreux conflits dans le monde qui requièrent notre attention. Contrairement à l'Europe, la guerre fait partie de la vie quotidienne de nombreuses personnes dans le monde, en particulier au Moyen-Orient.
En outre, j’ai entendu des craintes que l'action de l’UE et les sanctions que nous avons adoptées pourraient ne pas avoir d'effet sur le comportement du président Poutine, et qu'elles pourraient nuire aux économies d’autres pays et conduire à des systèmes financiers et des chaînes de production parallèles.
La Russie et l’Ukraine étant d’importants producteurs de blé (30 % des exportations mondiales), l’agression russe contre l’Ukraine et la décision de la Russie de mettre un terme aux exportations en bloquant la mer Noire peuvent en effet provoquer une insécurité alimentaire affectant la vie de millions de personnes et pourraient créer de l’instabilité au Moyen-Orient et en Afrique. L’UE est bien consciente de ces risques et nous étudions les moyens d’aider les pays les plus durement touchés.
Associé à de nombreuses préoccupations justifiées, un discours se répand dans de nombreux pays, accusant l’Europe d'avoir deux poids, deux mesures, d’être trop autocentrée et de ne pas tenir compte de conséquences telles que l’augmentation des prix des denrées alimentaires. Et avec sa machinerie bien connue de mensonges et de désinformation, la Russie exploite ce type de préoccupations et d'anciens discours anticoloniaux, en essayant de rejeter la faute sur l’Union européenne ou «l’Occident».
«C’est la Russie qui cause d’énormes souffrances humaines, l’insécurité alimentaire, la hausse des prix d'autres produits de base et la perturbation des chaînes d’approvisionnement.»
Pour contrer cette situation, nous devons tout d’abord expliquer ce qui se passe réellement sur le terrain et qui cause ce préjudice immense à l’Ukraine et au monde entier. C’est la Russie qui a attaqué l’Ukraine, au mépris total des règles de la politique internationale et de la charte des Nations unies. C’est la Russie qui cause d’énormes souffrances humaines en Ukraine et a déjà contraint 3,7 millions de personnes à fuir les violences — un nombre qui augmente chaque jour. Le mode d’intervention militaire de la Russie en Ukraine, qui consiste, entre autres, à prendre délibérément pour cible des infrastructures civiles, ressemble de manière tragique à son action en Syrie ces 10 dernières années, qui a causé des souffrances tout aussi dramatiques. Clairement, c’est la guerre de la Russie contre un pays souverain, ne représentant aucune menace, qui est à l’origine de l’insécurité alimentaire, de la hausse des prix d'autres produits de base et de la perturbation des chaînes d’approvisionnement.
Sachant cela, il est clair que la crise actuelle n'oppose pas «l’Est et l’Ouest» et n'est pas un conflit qui serait de moindre importance pour les pays du Sud. La guerre contre l’Ukraine n’est pas seulement une question européenne ni occidentale. Elle menace le monde entier, car elle tente de valider l’approche selon laquelle «la force fait loi», comme je l’ai dit lors de la session du Forum de Doha. Et les conséquences de l’agression russe ne seront pas subies uniquement par l’Ukraine ou l’Europe. Elles seront également subies par les pays vulnérables au Moyen-Orient et en Afrique.
«La guerre contre l’Ukraine n’est pas seulement une question européenne ni occidentale. Elle menace le monde entier.»
J’ai expliqué à mes différents interlocuteurs que, depuis sa création, l’UE a toujours défendu un monde où le droit international est respecté, où la guerre n’a pas sa place et où les conflits sont résolus par le dialogue et la négociation. Toujours et partout, nous avons essayé de résoudre les conflits, que ce soit en Palestine, en Syrie, au Yémen ou en Iraq, et nous avons contribué à soulager les souffrances de la population civile en leur consacrant des ressources considérables. Nous ne le faisons pas seulement maintenant, quand la guerre se déroule à nos portes. Nous poursuivrons nos efforts pour défendre la charte des Nations unies et l’ordre international fondé sur des règles. L’UE œuvre à la condamnation et à l’isolement les plus larges possible de la Russie au niveau international, et nous voulons travailler en étroite collaboration avec les pays du Moyen-Orient et du Golfe afin de convaincre la Russie de mettre un terme à cette guerre insensée. À cet égard, nous sommes heureux que la plupart des pays du Golfe et des pays arabes soutiennent ces efforts et aient également voté en faveur des deux récentes résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies condamnant l’agression de la Russie.
Partenariat UE-Golfe
Toutefois, ce n’est pas seulement en raison des actions dangereuses du président Poutine que nous avons un intérêt majeur à développer un partenariat stratégique renforcé avec le Golfe. En février dernier, à Bruxelles, l’UE a déjà discuté avec les ministres du Conseil de coopération du Golfe (CCG) d’un nouveau niveau d’ambition pour notre coopération. Au cours de ma mission, nous avons poursuivi nos échanges en ce qui concerne l’énergie et la transition écologique, la sécurité régionale, le commerce mondial et la sécurité des routes commerciales importantes.
L’un des principaux défis est bien évidemment la sécurité énergétique et la nécessaire accélération de la transition écologique. Dans nos réunions, aussi bien l'émir Tamim bin Hamad Al Thani que le cheikh bin Abdulrahman Al Than, vice-Premier ministre/ministre des affaires étrangères, ont confirmé l'intérêt que portait le Qatar à la mise en place avec l'UE d'un partenariat stratégique à long terme en matière d'énergie. Même si sa capacité à fournir davantage de GNL à l’Europe est limitée à court terme, je suis convaincu que le Qatar est prêt à réserver à l'UE une part accrue de sa production à partir de 2025. Cette possibilité pourrait constituer un élément important de notre stratégie REPowerEU, aussi bien pour la diversification de l'approvisionnement en gaz que pour d'autres sources d'énergie telles que l'hydrogène et les énergies renouvelables.
«Notre partenariat avec le Golfe est axé sur l’énergie et la transition écologique, la sécurité régionale, le commerce mondial et la sécurité et la sûreté des routes commerciales.»
De même, les discussions avec le cheikh Meshal Al-Jaber Al-Sabah, prince héritier du Koweït, le Premier ministre koweïtien cheikh Sabah Al-Khalid Al-Sabah et son ministre des affaires étrangères, Ahmed Nasser Al-Sabah, ont abordé le rôle important joué par le Koweït dans la stabilisation du marché pétrolier international.
L’UE et le Golfe sont des partenaires naturels pour promouvoir la désescalade, le dialogue et l’instauration d’un climat de confiance. À cet égard, un des domaines clés est la sécurité maritime autour du détroit d’Ormuz et en mer Rouge, ainsi que les efforts visant à améliorer la connaissance de la situation et les mécanismes d’échange d’informations pour tous les voisins du Golfe. L’UE a lancé en février 2022 une nouvelle présence maritime coordonnée dans le nord-ouest de l’océan Indien, allant de l’Inde à la Corne de l’Afrique et au détroit d'Ormuz. En ce qui concerne la sécurité régionale, j’ai également informé mes interlocuteurs de l’état d’avancement des discussions concernant l’accord sur le nucléaire avec l’Iran, et j’ai discuté de la situation en Afghanistan, où nos partenaires qatariens ont joué et continuent de jouer un rôle déterminant, en facilitant les contacts avec les autorités talibanes de fait, au-delà du soutien apporté pour assurer les évacuations, et en aidant l’UE à rétablir sa présence à Kaboul après la prise de pouvoir par les talibans.
En outre, mes interlocuteurs m'ont longuement entretenu des mesures ambitieuses prises pour mettre en œuvre les «Visions» développées par les dirigeants du Qatar et du Koweït d'un changement sociétal et économique pour leur pays, aussi ambitieux que ceux des autres partenaires de la région. En fait, ces plans concordent à bien des égards avec ce qu'envisage l’UE pour l’avenir de notre partenariat.
«Nous ne sommes pas toujours d’accord sur tout et il existe des différences, mais l’UE et les pays du Golfe partagent de nombreux objectifs et intérêts communs.»
Bien entendu, nous ne sommes pas toujours d’accord sur tout et il existe des différences, surtout en ce qui concerne les droits de l’homme, par exemple. Toutefois, je reviens de ma mission avec la confirmation que l’UE et les pays du Golfe partagent de nombreux objectifs communs et intérêts mutuels sur des questions mondiales essentielles, et que nous devrions approfondir notre partenariat afin de contribuer à la responsabilité et à la stabilité mondiales. En nous fondant sur les discussions menées lors du Conseil conjoint et de la réunion ministérielle UE-CCG organisés en février, nous allons aller de l’avant et concrétiser nos ambitions dans une «communication conjointe» sur le partenariat avec le Golfe, que l’UE prévoit d’adopter dans les semaines à venir.
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