L’avenir de l’observation électorale internationale
La conférence a réuni des observateurs électoraux, des acteurs du processus électoral, des donateurs, des représentants de la société civile et des acteurs de la prévention des conflits, afin de faire le point sur les nouveaux défis, notamment l’utilisation croissante des réseaux sociaux pour les campagnes électorales, le recours aux technologies de l'information dans les processus électoraux et les violences électorales. Les participants ont également examiné le rôle et les bonnes pratiques de l'observation parlementaire, ainsi que les moyens de renforcer la collaboration entre l’UE, l’Union africaine et les Nations unies dans ce domaine.
«Le jour de l’élection n’est que la partie émergée de l’iceberg. La démocratie est un exercice quotidien, qui va bien au-delà des urnes. Il s’agit de l’égalité des droits pour tous les électeurs et de conditions équitables pour tous les partis. Il s’agit de la liberté d’expression, de la pluralité et de l’indépendance des médias. Il s’agit d’une société civile active et de la participation quotidienne de citoyens de tous horizons à la vie publique d’un pays. Nos missions d’observation électorale contribuent à tous ces aspects, ainsi qu’à améliorer la qualité globale de chaque démocratie, en la respectant pleinement.» - Federica Mogherini, haute représentante de l’UE.
https://twitter.com/eu_eeas/status/1050370357826342912
«Depuis la fin de la guerre froide, l’observation électorale fait partie intégrante de la politique étrangère de l’UE. C’est l’un des instruments les plus efficaces et transparents pour promouvoir les valeurs fondamentales et renforcer la démocratie dans le monde». - Antonio Tajani, président du Parlement européen.
Les participants à la conférence ont souligné les problèmes liés à l’utilisation des technologies de l’information et des médias sociaux en périodes d'élection. La numérisation des élections en vue de rationaliser leur gestion — de l’inscription et de l’identification des électeurs au vote et au dépouillement —, soulève des questions quant à l’intégrité du processus et nuit à la confiance entre les responsables politiques, les électeurs et les autorités électorales. Des questions similaires se posent quant au rôle des médias sociaux, qui sont parfois liés à des opérations complexes de désinformation. Tandis que le débat sur la gouvernance de l’internet s’est jusqu’à présent focalisé sur le respect de la liberté d’expression, ces nouvelles tendances ont relancé la question de ses limites lorsqu’il est question de discours de haine et du rôle des médias sociaux dans la formation d’opinions, et la question de ce qui doit être réglementé. Néanmoins, la frontière entre la réglementation visant à prévenir les ingérences et la restriction de la liberté d’expression est très mince et doit être mûrement réfléchie. Dans ce contexte difficile, les équipes d’observateurs sont également confrontées à la difficulté de s’adapter à l’évolution rapide des progrès technologiques. Leurs capacités techniques et leur méthodologie doivent être revues et mises à jour afin qu’ils puissent assurer un suivi adéquat des systèmes numériques et des médias sociaux, et évaluer leur impact sur les processus électoraux.
«Nous nous attaquons au problème de la désinformation, qui sape la confiance des citoyens dans les institutions et porte atteinte à un aspect essentiel du vote démocratique, qui est le droit des citoyens de faire un choix éclairé. Les nouvelles technologies apportent des solutions appréciables permettant d’apaiser les inquiétudes, tout en préservant nos valeurs et principes démocratiques» - Mariya Gabriel, commissaire européenne chargée de l'économie et la société numériques et ancienne responsable de missions d’observation.
«Le recours à des technologies numériques ne remplace pas le besoin de confiance dans les processus électoraux. Il doit s’accompagner de contrôles et de contrepoids appropriés et de transparence pour donner confiance dans le système». - Marietje Schaake, membre du Parlement européen et ancienne responsable de missions d’observation
Des perspectives pluridisciplinaires collectives sont nécessaires pour comprendre les processus complexes qui conduisent à la violence ou à la menace de violence pendant des élections et pour y faire face. Des efforts doivent en outre être consentis pour identifier suffisamment à l’avance les facteurs susceptibles de déclencher des conflits. Au cours de la conférence, le débat a essentiellement porté sur la nécessité d’élaborer des stratégies à court, moyen et long terme pour prévenir la violence et les conflits. Les stratégies à long terme visant à renforcer les institutions publiques, y compris au moyen d’une mise en œuvre systématique des recommandations des missions d’observation, peuvent renforcer la crédibilité et la confiance à l’égard des processus électoraux, qui peuvent à leur tour contribuer à assurer des transitions politiques pacifiques et sans heurts. Les stratégies à court terme comprennent la médiation, la promotion du dialogue et la résolution des litiges. Il y a lieu d’intégrer aux missions d’observation et d’assistance électorales les outils existants de diplomatie préventive, de prévention des conflits, de consolidation de la paix et de médiation. Le travail de médiation et de prévention doit non seulement s’adresser aux responsables politiques, mais aussi aux acteurs sur le terrain, et le rôle des femmes, des jeunes et des minorités est essentiel. La présence à long terme de missions d’observation électorale et leurs évaluations indépendantes et impartiales contribuent souvent de manière décisive à renforcer la crédibilité des processus électoraux, tout en atténuant la violence et les conflits. En améliorant la transparence du processus électoral, elles contribuent à réduire le risque d’escalade de la violence lors d'une élection.
«On peut associer l’exigence de neutralité des observateurs internationaux à leur contribution à la paix.» - Jason Carter, président du conseil de surveillance du Carter Center
La participation de députés à des missions d’observation électorale, la plupart du temps dans le cadre d’organisations régionales (UE, OSCE, OTAN, Conseil de l’Europe, OEA, Parlement panafricain etc.), apporte encore davantage de crédibilité et de visibilité politique au processus d’observation, y compris aux recommandations présentées par la suite. Leur participation, en tant que représentants élus disposant d’une expérience et de compétences dans l’organisation de campagnes, la diversité de leurs profils et, notamment, leur appartenance politique renforcent également l’impartialité et l’indépendance de leurs conclusions et recommandations. Toutefois, ces dernières années, les comportements de certains députés ont été considérés comme problématiques. Lors de la conférence, une partie des discussions a porté sur la manière de résoudre ces problèmes et sur la nécessité, pour les assemblées parlementaires de l’OSCE et de l’OTAN et les parlements nationaux participant à des missions d’observation internationale, d’adhérer au code de conduite commun adopté par le Parlement européen et l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Les participants ont également discuté de l’importance de mieux intégrer le personnel national dans les missions d’observation électorale internationales et de renforcer la coopération de celles-ci avec les observateurs nationaux, afin notamment d’améliorer la cohérence des rapports des missions d’observation électorale.
«Nous sommes tous convaincus que l’observation électorale internationale est un outil important et que nous devons préserver sa dignité, sa réputation et sa crédibilité (...) Nous sommes tous d'avis que des codes de conduite doivent être appliqués. Chaque parlement national peut étudier le code de conduite commun que les quatre assemblées parlementaires multilatérales sont en train d’adopter ou ont adopté (...) Cette démarche peut donner une grande cohérence à nos missions communes.» - Heidi Hautala, vice-présidente du Parlement européen.
La conférence a abordé un autre point important: comment renforcer la coopération trilatérale UE-UA-ONU en matière de processus électoraux et d’observation électorale, afin de soutenir les élections sur l’ensemble du cycle — avant, pendant et après les élections. Il est possible de renforcer le partenariat entre l’UE et l’UA dans ce domaine en s’appuyant sur les recommandations de leurs missions d’observation afin d’encourager la consolidation des processus de démocratisation et des institutions sur tout le continent. L’ONU, l’UE et l’UA coopèrent déjà étroitement en matière d’observation électorale dans le cadre de la «déclaration de principes pour l’observation internationale d’élections» signée en 2005 au siège de l’Organisation des Nations unies. L’UA et l’UE collaborent étroitement au niveau technique et politique sur les processus électoraux, y compris sur la méthodologie d’observation à long terme. Elles ont exprimé le souhait de renforcer et d’élargir cette coopération, notamment pour le suivi des recommandations des missions d’observation électorale. Les participants ont confirmé qu’il serait utile de renforcer le partenariat dans le domaine électoral, compte tenu de l’expérience des trois organisations et des défis à venir. Pour de nombreux participants, la mise en œuvre de recommandations, en particulier en matière de réformes électorales, serait facilitée par un renforcement du dialogue en matière de coopération entre les organismes de gestion électorale et les organisations de la société civile.
«Veillez à ce que la coopération trilatérale soit toujours un partenariat et pas une compétition. Les divisions offrent de la place aux éléments perturbateurs.» - Craig Jenness, directeur de la division de l’assistance électorale, département des affaires politiques des Nations unies.
La conférence de haut niveau sur l’avenir de l’observation électorale internationale a réuni un large éventail de compétences et d’expériences. Au travers d’exposés, de tables rondes et de discussions informelles en marge des débats, elle a permis de recenser une série de points importants où l’action doit être renforcée et d’établir un programme de coopération future substantiel.
Points où l’action doit être renforcée:
- Les observateurs électoraux internationaux devraient mettre au point et tester des méthodes permettant d’évaluer l’utilisation des technologies numériques et le rôle des médias sociaux dans les processus électoraux. Les acteurs de l'observation électorale devraient régulièrement s’échanger informations, recherches et bonnes pratiques lors de leurs réunions (comme celle consacrée à la déclaration de principes). Les observateurs électoraux devraient établir des contacts avec d’autres acteurs clés du secteur des technologies numériques, tels que les groupes de réflexion, les universitaires et les entreprises de technologies numériques.
- Les principes fondamentaux de transparence, de sécurité, de durabilité, de responsabilité et d’inclusion, qui garantissent la crédibilité et l’intégrité des élections, devraient également s’appliquer aux systèmes numériques. Les entreprises privées fournissant des technologies de l’information et des communications (TIC) pour les élections devraient s’efforcer d’intégrer ces normes dans la conception de leurs produits. La communauté internationale devrait s’engager à soutenir les systèmes électoraux reposant sur les TIC uniquement s’ils répondent à ces normes minimales.
- Les pays partenaires pourraient être soutenus dans la mise en place d’«écosystèmes numériques» capables de relever le défi de défendre les valeurs démocratiques dans l’univers des nouvelles technologies, et en particulier des médias sociaux. La communauté internationale devrait s’engager à soutenir les systèmes d'information et de communication répondant à des normes minimales, et continuer à soutenir les acteurs de la société civile actifs dans l’observation d’élections, notamment pour le suivi des contenus en ligne et la lutte contre la désinformation.
- La communauté internationale pourrait également renforcer la collaboration à court et à long terme entre les organisations chargées de l’observation électorale internationale, de l’assistance électorale et de la préservation de la paix et de la sécurité, afin de contribuer à prévenir les violences électorales. La collaboration à long terme pourrait inclure le renforcement des institutions publiques et le soutien à la société civile et aux partis politiques pour la mise en œuvre des codes de conduite. La collaboration à court terme pourrait inclure le dialogue politique, la médiation et la résolution des litiges. Les femmes devraient avoir un rôle plus important dans la prévention des conflits et la médiation. Des efforts particuliers sont nécessaires à l’égard des jeunes qui sont manipulés par des acteurs politiques cherchant à fomenter des violences électorales. Une approche plus intégrée permettrait de réduire les risques de remise en cause du système et des institutions démocratiques par certains partis, et donc les risques de violences durant les élections.
- Si la prévention des violences électorales doit s’appuyer sur des mécanismes mis en place bien avant le déploiement d’une mission d’observation électorale, les observateurs doivent également disposer d’outils leur permettant d’analyser et de traiter de façon appropriée d’éventuels conflits violents. Par conséquent, il est recommandé que la formation à la prévention des conflits et à la médiation devienne une condition préalable généralisée pour les chefs et chefs adjoints de MOE dans les pays présentant un risque élevé de conflit.
- Un code de conduite commun devrait être mis en place pour tous les parlements et assemblées participant à des missions internationales d’observation électorale. Ce code devrait établir des règles et des pratiques permettant de garantir au préalable que les personnes chargées de l’observation au nom de ces institutions se comportent de manière appropriée et n'ont pas de conflit d’intérêt avec leur rôle d’observateur indépendant. Ce code devrait être obligatoire pour tous les observateurs, indépendamment de leur statut et de leur nationalité. Une liste de critères pour la désignation des membres pourrait être envisagée à cette fin.
- Les parlements et assemblées devraient mettre en place une structure spéciale permanente composée de parlementaires, qui serait chargée de surveiller sur le long terme la mise en œuvre du code commun, et de prendre les décisions et mesures appropriées à l’égard de tout observateur compromettant l’intégrité d’une mission. L’égalité entre les femmes et les hommes parmi les observateurs devrait être obligatoire, ainsi qu’une politique de tolérance zéro à l’égard du harcèlement sexuel et de la violence.
- Avant et pendant la période de déploiement des MOE, l’UE, l’UA et l’ONU devraient intensifier leurs échanges d’informations sur les activités de suivi, et prévoir notamment des missions de suivi électoral. Toute la gamme des instruments politiques (institutions/organes) des trois organisations devrait être mise à contribution pour mettre les questions électorales à l’ordre du jour et veiller à la cohérence de nos messages et actions de soutien aux processus électoraux.
- Les bonnes pratiques informelles de coopération UA-UE pendant les missions d’observation électorale devraient devenir, dans la mesure du possible, des pratiques standards, comme la publication de communiqués conjoints aux moments importants du processus électoral, l’examen des recommandations sur le terrain avant leur finalisation et la coordination de l’action de l’UA et de l’UE dans les pays où toutes deux déploient des missions d’observation à long terme.