L’union fait la force pour garantir l’alimentation des populations rurales au Congo: 5 façons de soutenir les associations communautaires de chasseurs (Dans le cadre du ¨Programme de gestion durable de la faune sauvage" - SWM)
«Je vis de la chasse, je nourris ma famille avec la chasse et je supporte les études de mes enfants avec la chasse» confie Jean-Louis. Une situation que partagent les 128 autres chasseurs des villages de Kabo, Gbabali, Leme et Bondzélé.
Ces villages congolais isolés bordent le paysage du Trinational de la Sangha, au point de rencontre du Cameroun et de la République centrafricaine. Le site abrite au moins 116 espèces de mammifères, dont les gorilles des plaines occidentales (classés comme étant en danger critique d'extinction), 429 espèces d'oiseaux, 29 espèces de reptiles et 246 espèces de poissons. Toutefois, la présence d’animaux sauvages se raréfie.
«Avant je trouvais facilement dans la forêt les petits gibiers comme les céphalophes et les potamochères facilement dans la forêt. Maintenant c’est plus difficile» dit Jean-Louis avec inquiétude.
Plusieurs menaces pèsent désormais sur la faune sauvage de cette forêt pluviale dense.
Kabo et les villages limitrophes abritent de nombreuses populations : les populations natives, dont les bantous et les peuples autochtones Baaka, mais également celles des villes environnantes en augmentation constante. Au cours de cette dernière décennie en effet, la construction de 830 kilomètres de route goudronnée entre Brazzaville et Ouesso a entraîné des flux importants de populations en raison des opportunités économiques qu’offrent la région et du désenclavement progressif du nord Congo.
Par ailleurs, les frontières poreuses des pays limitrophes ouvrent également la voie au trafic illégal des espèces animales. «L'ouverture des routes, par ici et là dans les forêts, ça occasionne l'entrée massive de tous les chasseurs venus de tous les horizons» explique Jean-Louis.
La chasse excessive dans les écosystèmes forestiers fragiles près de Kabo est particulièrement nourrie par une demande croissante en viande sauvage dans les marchés urbains, que ce soit à Ouesso ou à Brazzaville, où elle constitue un met de luxe. Cependant, , à la différence de Brazzaville, la viande sauvage représente à Ouesso l’une des seules sources de protéines accessibles et abordables pour les populations.
Le manque d’alternatives pour gagner sa vie dans la région, déterminée, entre autres, par la situation géographique éloignée les conditions climatiques et les coûts élevés reliés au développement d’autres activités telles que l’élevage, poussent les chasseurs à vendre les animaux chassés aux commerçantes de viande de ces grandes villes.
«J’ai une grande famille, et seulement par besoin de gagner de l’argent, lorsque l’on trouve beaucoup de gibier, on préfère le vendre aux femmes qui viennent de Ouesso parce qu’ainsi, nous gagnons beaucoup plus d’argent que si nous le vendions ici à Kabo» révèle-t’il.
Jean-Louis explique qu’à Kabo, un céphalophe de taille moyenne peut être vendu pour environ 12 000 francs CFA tandis qu’en le proposant aux commerçantes du marché de Ouesso, il peut en tirer un minimum de 15 000 francs.
©Brent Stirton/Getty Images for FAO, CIFOR, CIRAD, WCS
L’union fait la force
C’est pour faire face à ces multiples défis que les 94 chasseurs des villages de Kabo et Gbabali, lesquels partagent les mêmes 519 kilomètres carrés de zone de chasse, ont choisi de s’unir en une association communautaire. Ces associations de chasseurs regroupant des membres des peuples autochtones (Baaka) et des bantou reflètent la volonté des communautés de faire de la gestion durable de la faune sauvage une responsabilité collective. Jean-Louis,reconnu par ses pairs chasseur compétent et expérimenté, est d’ailleurs le premier président de l’association de chasse de Kabo-Gbabali à être élu par la communauté.
«Cette association joue un grand rôle puisqu’elle nous apprend à chasser ici, au niveau du village. Ce qui est important, c’est qu’ elle ne nous interdit pas de chasser, mais elle nous encourage à le faire d'une manière rationnelle» explique-t-il.
©WCS/Clément Kolopp
Dans un pays où l'État est le propriétaire des forêts et de ses ressources naturelles, l’objectif à long-terme est que ces associations obtiennent des droits formels sur la faune sauvage dans un territoire donné, et qu’elles maîtrisent des outils de gestion durable de cette faune.
«Une initiative mondiale financée par l’Union européenne et travaillant dans plus de quinze pays, le Programme de gestion durable de la faune sauvage (SWM Programme), facilite la mise en place d’associations communautaires de chasseurs et l’octroi des droits de gestion aux communautés rurales sur la faune sauvage dans le nord du Congo, afin qu’elles deviennent les meilleurs alliées de l’État.» explique Yannick Rasoarimanana, Représentante de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) au Congo.
Les peuples autochtones et les communautés locales, les autorités nationales et le secteur privé travaillent main dans la main avec le SWM Programme de 5 façons différentes afin soutenir ces associations. Pour Giacomo Durazzo, ambassadeur de l’Union européenne en République du Congo, « Cette approche de partenariat permettant la conservation de la faune sauvage d’une part, et l’utilisation durable de celle-ci d’autre part, cadre parfaitement avec les priorités de l’Union européenne, qui cherche à mettre en place des solutions pragmatiques sur le terrain. Ceci afin de parvenir à une cohabitation saine et durable entre les être humains, l’environnement et la faune sauvage ».
En quoi consiste concrètement cette approche en 5 phases ?
- La première consiste à apprendre à gérer la faune plus durablement grâce aux jeux communautaires
Une approche innovante de sensibilisation a pris forme dans les villages pour susciter l’engagement des communautés à gérer leur faune par elles et pour elles-mêmes, alors les chasseurs se rencontrent fréquemment afin de participer à des sessions de jeux pour intérioriser les aspects de gestion durable de la chasse.
Ces sessions participatives, facilitées par le SWM Programme, aident à la compréhension de trois grands apprentissages: l’inventaire communautaire de la faune sauvage (tenir en compte la nature des espèces prélevées), la durabilité de la chasse (respect des quotas établis) et la rotation spatiale (repos des zones de chasse pour la quiétude animale).
«Le premier jeu permet aux membres de l’association de connaître l’état de la ressource en forêt (l’abondance des animaux) pour avoir la maîtrise des quantités d’animaux à chasser sur une période donnée. Le second renseigne sur l‘importance d’établir une rotation spéciale dans les zones de chasse de telle sorte que les chasseurs doivent s’entendre pour chasser dans une seule zone par période. Enfin, le troisième jeu met l’accent sur l’importance de sélectionner les espèces à abattre vis-à-vis de leurs statuts de protection et de leurs disponibilités» explique Gracia Dorielle Ngohouani, responsable chasse à la Wildlife Conservation Society (WCS) au Congo, l’une des organisations partenaires du SWM Programme. Le transfert de connaissance et le renforcement des capacités par le jeu sont fructueux, puisque ce sont maintenant les chasseurs comme Jean-Louis qui ont débuté le travail de sensibilisation au village.
FAO/Cindy Côté-Andreetti
- La seconde phase porte sur la définition des règles de chasse communautaire
La définition par les chasseurs de leurs propres règles de chasse leur permet d’être en première ligne de la gestion durable de la faune et de la chasse et de s’assurer que leurs besoins alimentaires et financiers soient pris en compte par le gouvernement et le secteur privé.
Le village de Kabo se trouve dans les limites de l’unité forestière d’aménagement du même nom, une concession forestière gérée par la Congolaise industrielle des bois (CIB). L’entreprise a son siège dans la ville de Pokola et opère depuis 1969 dans la région du nord du Congo. Plus de 60 000 personnes vivent dans les limites de cette concession.
Lorsque des villages se trouvent sur le territoire de concessions forestières, le plan d'aménagement de celles-ci fixe des règles spécifiques tendant à la gestion durable de la chasse. Les règles de chasse déterminées par les associations communautaires sont complémentaires à celles prévues par la loi et le plan d’aménagement des concessions de la CIB. Elles peuvent être utilisées et adaptées dans d’autres villages de la région présentant des conditions similaires.
«Nous avons développé des plans d'aménagement en partenariat avec le ministère de l'économie forestière, sur la base des textes législatifs et réglementaires développés à cet effet par l’administration. Parallèlement à cela, nous avons développé aussi toute une série de partenariats, comme avec le SWM Programme, pour adapter nos pratiques et mieux prendre en compte les besoins des populations locales et autochtones dans nos plans» explique Vincent Istace, Directeur de la responsabilité environnementale et sociale à la CIB.
Même si la CIB n’exploite pas directement dans les zones forestières utilisées par les communautés (appelées « séries de développement communautaires »), les zones de chasse villageoise se superposent à certaines zones d’exploitation de la concession. Il est donc essentiel que le plan de gestion communautaire de la chasse inclût des accords particuliers avec la CIB. Ainsi, les plans de gestion quinquennaux de l’unité d’aménagement forestière de Kabo peuvent prendre en compte les règles de chasse reflétant les besoins des peuples autochtones et bantous.
Jean-Louis poursuit en ajoutant que «le SWM Programme agit en tant que facilitateur pour l’association», et en particulier dans la conciliation entre les activités traditionnelles des populations natives, telles que la chasse et la cueillette, et les activités d’exploitation de la concession forestière.
©FAO/Cindy Côté-Andreetti
- La troisième phase permet de déterminer les modalités du suivi communautaire de la chasse
Afin que les chasseurs puissent évaluer s’ils ne chassent pas plus que ce que la forêt peut produire, ils sont en train de mettre en place en système de suivi de la chasse villageoise.L’espace central du village continuera d’être le lieu de prédilection pour ce suivi communautaire.Après chaque battue de chasse, les membres de l’association s’y rendront afin d’indiquer sur une grande carte les lieux où les animaux ont été chassés. Ils enregistrent également la date et l’heure de la capture, et l’espèce abattue.
Ce système de suivi est l’une des options présentement testées au niveau de la communauté. Il est primordial qu’elle soit responsable de ce suivi afin d’en assurer la durabilité au-delà des activités du SWM Programme.
« Ce système va nous moraliser et nous éduquer, parce que là où nous chassions abusivement, nous serons conscients qu’il y a des règles à appliquer, et nous le ferons » exprime Jean-Louis. « Nous serons en mesure de respecter les zones de chasse et procéder à l’étude de durabilité de la chasse par secteur. Je crois que si on peut respecter cela, il y a aura toujours du gibier à Kabo », poursuit-il.
- La quatrième phase favorise les échanger sur les bonnes pratiques
La forêt du bassin du Congo, s’étendant sur six pays, dont le Congo, les chasseurs des pays voisins, tel que le Gabon, font face à des défis similaires. C’est donc avec l’idée de valoriser l’échange d’expériences et de bonnes pratiques que Jean-Louis et d’autres membres de l’association de Kabo-Gbabali, ont visité le site du SWM Programme dans le département de Mulundu, au Gabon, où l’équipe locale soutient dix communautés dans la création d’associations de chasse.
WCS/Norbert Gami
Au Gabon, le SWM Programme accompagne et facilite les demandes de reconnaissance officielle de forêts communautaires qui ont été soumises au gouvernement par deux associations de chasseurs, avec l’ambition que les 10 communautés partenaires obtiennent ce statut.
Inspirés par les acquis de leurs voisins, Jean-Louis et les chasseurs de l’association de Kabo-Gbabali espèrent que la République du Congo progressera vers un statut similaire pour leurs zones de chasse, puisque les conditions pour la gestion communautaire des ressources naturelles dans certaines zones sont déjà prévues par le code forestier congolais adopté en 2020, à travers le statut de forêts communautaires.
- La cinquième et dernière approche encourage la collaboration avec le gouvernement afin de renforcer les droits des communautés sur la faune sauvage
Des efforts sont entrepris afin que les associations communautaires de chasseurs trouvent une légitimité dans le cadre légal national, en relation avec les droits de gestion des zones de chasse villageoises, qui ne peuvent être conféré que par la loi, notamment par le statut de forêt communautaire.
En plus d’accompagner ces associations dans la gestion communautaire durable de la faune sauvage, le SWM Programme au Congo participe au groupe de travail mis en place par le Ministère de l’économie forestière pour la réforme nationale de la loi sur la faune et les aires protégées (n°37-2008), contribuant ainsi, à ce que les besoins et les exigences des communautés soient pris en compte.
«Le SWM Programme accompagne cette réforme de la loi, parce qu’effectivement, nous avons été sur le terrain, nous avons vu les préoccupations des communautés locales et avec cela, nous pouvons améliorer notre loi sur la faune et les aires protégées», indique Madame Rosalie Matondo, Ministre de l’économie forestière au Congo.
Cette loi fixe les principes fondamentaux et les conditions générales de conservation et de gestion durable de la faune, des habitats et écosystèmes et réglemente les activités reliées à la chasse. Elle nécessite néanmoins d’être actualisée, puisque la dernière mise à jour remonte à 2008 et que dans l’intervalle, la situation a beaucoup évolué.
«Il y a aujourd’hui des évolutions au niveau national, international et sous régional que nous devons prendre en compte dans la loi sur la faune et les aires protégées (n°37-2008). Il faut associer les trois piliers du développement durable, c'est-à-dire l'essor économique, la prise en compte des communautés locales et la préservation de l'environnement» explique Madame Rosalie Matondo.
En plus de soutenir les communautés dans l’atteinte de niveaux durables de la chasse, le SWM Programme et ses partenaires ont développé un portail en ligne permettant un meilleur accès aux lois nationales et aux analyses des usages et des coutumes traditionnelles. Ces outils permettent de mieux comprendre les forces et faiblesses du cadre juridique actuel afin d’encourager une réforme de certaines lois, lorsque nécessaire.
Une approche intégrée innovante
Le SWM Programme s’attaque aux multiples facettes que présentent les défis de la consommation de la viande sauvage afin de garantir l’alimentation des familles rurales dans le nord du Congo, comme celle de Jean-Louis. Cette approche intégrée n’a que rarement été appliquée dans des projets de conservation à grande échelle de ce type.
Travaillant sur plusieurs fronts, les populations rurales sont également en train de développer des moyens additionnels pour améliorer leur nutrition et leur revenu, tout en réduisant la pression de la chasse sur la forêt. Le SWM Programme et ses partenaires ont, jusqu’à présent, formé plus de 70 éleveurs de volailles et de petits ruminants et soutenu la création de plus de 200 micro-entreprises.
Des campagnes de marketing social pour promouvoir la consommation de viande de volaille élevée localement dans les centres urbains de Ouesso et de Pokola sont également au programme et débuteront sous peu.
«Le SWM Programme nous apprend à gérer durablement la forêt, mais il faut aussi compenser avec d’autres initiatives, les activités qui détruisent cette forêt» conclut Jean-Louis.
A propos du Programme SWM
Le SWM Programme est une initiative financée par l’Union européenne et cofinancé par le Fonds français pour l’environnement mondial et l’Agence française de développement. Les activités du SWM Programme sont mises en œuvre dans 17 pays par un consortium de partenaires composé de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), le Centre de recherche forestière internationale (CIFOR-ICRAF) et la Wildlife Conservation Society (WCS).
En République du Congo, les activités sont mises en œuvre par WCS.
En savoir plus sur le Programme SWM :
Brochure en français : https://www.fao.org/3/cc5268fr/cc5268fr.pdf Brochure en anglais : https://www.fao.org/3/cc5268en/cc5268en.pdf
Brochure sur l'approche genre (français) : https://www.fao.org/3/cb7670fr/cb7670fr.pdf
Brochure sur l'approche genre (anglais) : https://www.fao.org/3/cb7670en/cb7670en.pdf
https://www.swm-programme.info