Il faut mettre un terme à la catastrophe humanitaire au Soudan
"La crise la plus grave, la plus complexe et la plus cruelle au monde"[1], se déroule au Soudan sans figurer dans nos journaux télévisés, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l'ONU. Avec près de 9 millions de personnes déplacées à l'intérieur du pays - dont la moitié sont des enfants - et près de 2 millions de réfugiés à l'étranger, c’est en effet au Soudan que se déroule actuellement la plus grave crise de ce type au monde. Et le pire reste à venir : les combats ont perturbé la saison des semailles dans les régions les plus fertiles du pays. Près de 20 millions de personnes, soit quasiment un Soudanais sur deux, sont confrontées à une insécurité alimentaire aiguë dans un pays qui était autrefois un grand producteur de denrées alimentaires.
Le 15 avril, la guerre au Soudan entrera dans sa deuxième année. Ce jour-là, l'Union Européenne, la France et l'Allemagne organisent une conférence de haut niveau à Paris pour plaider en faveur d'une aide humanitaire supplémentaire et appeler à la fin de ce conflit. Cette conférence doit permettre de lancer un cri d'alarme adressé à l'Afrique, à l'Europe et à l'ensemble de la communauté internationale.
Nous savons qui est responsable de ce désastre. Avec leur coup d'État militaire conjoint d'octobre 2021, les Forces armées soudanaises (FAS) et les Forces de soutien rapide (FSR) avaient pris en otage les aspirations démocratiques de la révolution soudanaise. L'alliance formée lors de ce coup d'État s'est effondrée et a débouché sur une guerre entre les deux parties depuis le 15 avril 2023.
Les deux belligérants ont décidé de faire la guerre non seulement l'un à l'autre, mais aussi au Soudan et à son peuple. Au Darfour, les atrocités contre les civils en raison de leur appartenance ethnique, qui avaient fait la une des journaux en 2003, ont repris. Dans tout le pays, l'aide humanitaire est délibérément retenue par les belligérants et les travailleurs humanitaires se voient refuser l'accès aux populations en difficulté. Des centaines de milliers de Soudanais ont fui vers les pays voisins, notamment le Tchad et le Sud-Soudan, deux pays déjà confrontés eux-mêmes à des crises humanitaires et alimentaires. Ces souffrances sont entièrement dues à l'action humaine et pourraient cesser dès aujourd'hui.
Les sponsors extérieurs, qui apportent de l'argent et des armes, alimentent les combats. Des acteurs comme l'Iran livrent des armes, notamment des drones, aux Forces armées soudanaises. Les Émirats arabes unis disposent également d'un moyen de pression direct sur les FSR, qu'ils devraient utiliser pour mettre fin à la guerre. La Russie joue sur les deux tableaux dans l'espoir d'avoir accès à des infrastructures et des ressources stratégiques, y compris avec des mercenaires, qui recherchent principalement de l'or et des minerais. La mer Rouge est la principale liaison maritime de l'Europe avec l'Asie et le Pacifique, et le Soudan pourrait devenir une plaque tournante pour le trafic d'êtres humains, des combattants radicaux, des trafics d'armes et de toutes sortes de commerces illicites entre le Sahel, l'Afrique du Nord et l'Afrique subsaharienne. La sécurité de l'Europe est en jeu.
Avant la guerre, pendant le soulèvement populaire victorieux contre une dictature brutale, les nombreux jeunes activistes, défenseuses des droits des femmes et dirigeants communautaires avaient montré au monde leur volonté et leur détermination à construire un Soudan démocratique et pacifique. Depuis lors, l'Union Européenne et ses États membres sont restés fermes sur leur position : le seul parti que nous prenons dans ce conflit est celui des civils et de l'espoir qu'ils ont pour leur pays.
Nous continuerons à dialoguer avec les belligérants en adoptant une position neutre qui privilégie la paix et le respect de la vie et des droits des civils. La réunion du 15 avril à Paris doit devenir un point de ralliement pour la paix. Elle doit être la rampe de lancement d'une action plus globale, concertée et conséquente de l'Europe, de l'Afrique et de la communauté internationale sur le Soudan.
Le premier objectif aujourd'hui doit bien sûr être d'éviter la famine qui menace le Soudan et de soutenir les pays et les communautés qui ont accueilli des réfugiés fuyant la guerre. L'aide disponible, bloquée par les belligérants pour des raisons politiques, doit parvenir aux personnes dans le besoin, où qu'elles se trouvent. De telles tactiques violent le droit international et peuvent constituer des crimes de guerre. Nous attendons également des deux chefs des parties belligérantes, les généraux Burhan et Mohamed Hamdan Dagalo Hemedti, qu'ils entendent enfin les appels à cesser ce carnage et s'asseoient à la table des négociations. Un refus ne resterait pas sans conséquences.
Notre action au Soudan n'est pas isolée : au Soudan comme en Ukraine ou ailleurs, les aspirations démocratiques ne doivent pas être combattues avec les canons des fusils. C’est ce que demande le peuple soudanais depuis qu'il a envahi les rues de Khartoum il y a cinq ans. C'est pourquoi nous appelons inlassablement et sans délai à un cessez-le-feu, à un accès sans entrave pour l'aide humanitaire et au retour du Soudan sur la voie d'une transition démocratique. Nous privilégions toujours les solutions africaines aux problèmes africains. Alors que le Soudan entre dans la deuxième année de sa guerre la plus funeste, nous attendons de la région qu'elle prenne ses responsabilités. Aux côtés de nos partenaires régionaux et internationaux, nous sommes prêts à aider le Soudan dans ces heures sombres.
[1] https://www.unocha.org/news/sudan-un-relief-chief-calls-end-worlds-worst-most-complex-and-cruel-crisis